vendredi 1 mai 2009

Soins aux migrants dans le Dunkerquois, article à paraitre dans Pratiques N°46

Après (et malgré) la fermeture du camp de Sangatte en 2002, les migrants sont encore plus nombreux sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord[1], essayant de passer clandestinement en Angleterre par tous les moyens possibles, et survivant dans des conditions effroyables. Dans la région de Dunkerque, ils sont probablement cent, cent cinquante, afghans, irakiens, pakistanais, et aussi éthiopiens, somaliens, qui vivent là, dans l’attente, l’extrême précarité matérielle, et l’incertitude complète sur l’avenir. Il s’agit de campements de fortune, des bâches, quelques tentes, des cartons, la « jungle » (prononcer à l’anglaise djingel). Des bénévoles regroupés en association[2]tentent de les aider en apportant de la nourriture, des vêtements, des couvertures, en les aidant à accéder aux douches ou à différents services. Depuis l’arrivée du « grand froid » les municipalités aussi se sont mobilisées : à Teteghem, un local communal a été ouvert ; il est bien un peu loin de l’autoroute, et le fonctionnement un peu rigide le rend peu fréquenté. A Grande Synthe, une grande tente a été mise à disposition, et reste malgré le redoux, démontée pour la tempête, remontée ensuite par les services communaux ; l’accès aux douches est autorisé. Il faut dire qu’à Grande Synthe, le campement est extérieur à la ville, il n’y a pas de rejet par la population, et les associations d’aide humanitaire sont importantes. « Ah, c’est vous docteur ? Vous venez aussi ? » s’écrie avec satisfaction le chauffeur du véhicule municipal, client du même docteur !
Pour les soins, depuis longtemps un cabinet de Médecine générale accueillait à la demande, de temps en temps, des migrants malades. Devant le nombre croissant de migrants, ils se sont regroupés en mission de Médecins du Monde, organisés[3], et actuellement, ce sont trois « consultations » par semaine que les bénévoles, médecins et infirmières arrivent à assurer dans trois lieux de campement différents. Mais pour les migrants malades, ce n’est pas toujours suffisant, une consultation par semaine, notamment pour le suivi des infections de la peau, qui sont fréquentes. Les conditions de soin sont d’autant plus difficiles que le camion aménagé qui faisait office de cabinet de consultation, après être tombé longuement en panne, a été incendié.[4] Et c’est dans le camion de Salam, ou celui d’Emmaüs que les soins ont lieu actuellement, obligeant à des transferts supplémentaires de matériel, ce qui prend du temps et de l’énergie. Parfois même, c’est à l’arrière des voitures personnelles, ce qui rend les conditions d’examen des malades très insatisfaisantes. Mais c’est une véritable dynamique qui s’est enclenchée : 10 médecins[5] et autant d’infirmières[6] se succèdent au fil des semaines. Les soignants sont donc bénévoles de MdM, les médicaments et le matériel nécessaires sont financés par MdM, utilisés à bon escient, mais sans restriction, ce qui est très satisfaisant pour les soignants. Les pathologies rencontrées sont les mêmes depuis Sangatte : problèmes de peau liées aux mauvaises conditions d’hygiène (gales et plaies surinfectées), traumatismes nombreux à cause des escalades et descentes périlleuses des camions, infections saisonnières, (rhumes, bronchites, otites), maux de dents. La communication avec les patients migrants est difficile car aucun ne parle français, et c’est frustrant pour les soignants de parler un anglais très limité de part et d’autre, avec parfois l’obligation de passer par un tiers lorsque le patient ne parle que sa propre langue. Mais c’est très gratifiant de sentir la confiance qu’ils ont envers les soignants bénévoles. L’autre grande frustration est de constater de près leurs conditions de vie, et en particulier d’hygiène, malgré l’action des associations.
Les urgences sont acceptées par l’hôpital de Dunkerque, dans le cadre du dispositif PASS, mais quelle difficulté à le faire connaître du personnel même de l’hôpital ! Et c’est fréquent de voir un migrant sortir de l’hôpital avec une prescription sur une ordonnance, comme s’il existait une pharmacie dans la « jungle », alors que le dispositif prévoit qu’il reçoive le traitement médicamenteux « en nature ». Un groupe de travail avec des représentants de MdM, des associations humanitaires, et de l’administration travaille sur l’amélioration de l’existant, mais laborieusement et lentement, « à coût constant » ! Il faut dire que l’Etat, financeur du dispositif, est mauvais payeur pour l’hôpital, maître d’œuvre.
L’énergie et l’enthousiasme manifestés par les soignants bénévoles donnent à réfléchir, comparés au discours habituel des professionnels. Il y a plusieurs éléments qui permettent de comprendre : le plaisir de travailler en binôme, médecin- infirmière, chacun dans ses compétences, et en complémentarité. L’intérêt et le soutien réciproque amené par la venue concomitante des bénévoles qui s’occupent des repas, des vêtements et des démarches (comme aller à l’hôpital, comprendre les papiers, aider dans les démarches administratives s’il y en a,) est aussi une découverte. Les migrants rencontrés dans le Dunkerquois ne parlent jamais français, avec certains, on peut parler anglais : des réunions sont faites pour s’améliorer en anglais médical, animées par des enseignants, bénévoles eux aussi. Il y a aussi le projet d’une réunion de tous les intervenants de terrain sur les migrations, élément de géopolitique. C’est une ouverture, cela permet de sortir du train-train du quotidien d’une manière cohérente avec les centres d’intérêts et les compétences des soignants. Il y a aussi, peut-être, pour certains, le rêve ancien de faire de la médecine humanitaire, qui, pour une raison ou une autre, n’a pas pu se réaliser : les enfants, le conjoint, les contraintes financières. Et là, l’étranger est à la porte, il a des besoins évidents, c’est naturel de s’en préoccuper, c’est un rattrapage sur la frustration qu’entraîne souvent l’exercice de la profession actuellement. Un des médecins dit : « Il y a quelques années, les migrants étaient à Calais, à 40 km, mais maintenant, ils sont à 300mètres de mon cabinet ! »


Cas clinique N°1
Ali, 30 ans, afghan, est rencontré au camp de Loon Plage. Il a un abcès collecté du mollet gauche, à la suite d’une plaie ; le médecin lui propose de l’inciser, là, sur place, pour le soulager. Il lui explique qu’il va avoir mal, qu’il faudra ensuite des soins locaux, mais qu’il va ainsi guérir et éviter des complications. Ali accepte. L’incision est pratiquée sur un malade assis car il a refusé de s’allonger dans la camionnette, le geste est douloureux, le patient l’endure, sans aucune plainte. Il fait d’ailleurs un malaise vagal.



Cas clinique N°2
Samia, 22 ans, érythréenne, est arrivée avec son mari, il y a quelques semaines. Elle est enceinte de 4 mois, suivie à la consultation de PMI de Grande Synthe. A la suite d’efforts : monter et descendre des camions, chuter, courir, elle rompt la poche des eaux, ce qui expose le fœtus à l’infection et à un accouchement prématuré. Elle fait une fausse couche dans les semaines suivantes, sans avoir pu bénéficier d’une interruption thérapeutique de grossesse.

[1] Rapport de la CFDA « La loi des jungles » septembre 2008 http://cfda.rezo.net
[2] Salam www.associationsalam.org ; Emmaus Grande Synthe
[3] Dans le cadre de la mission migrants du littoral Nord- Pas de Calais de Médecins du Monde,
[4] Après l’incendie, relaté dans le journal local, un appel aux dons pour acquérir un nouveau véhicule a recueilli près de 1000 euros dans la semaine !
[5] 9 médecins libéraux en activité, et un médecin hospitalier
[6] Les infirmières ne sont pas en activité, sauf une qui est salariée de l’hopital

lettre adressée à MrEric Besson avant sa venue à Calais

Monsieur le Ministre,

En réponse à votre lettre du 7 avril et après votre passage à Calais fin janvier, voici les propositions de Médecins du Monde :

D’abord et avant tout, nous demandons que leur accès à l’eau soit établi en différents points de la ville : c’est une mesure simple, très efficace en matière de réduction des risques sanitaires, tant pour eux qu’en terme de santé publique. Depuis quelques semaines nous savons, (tout le monde sait) que les migrants de la « jungle » de Calais pénètrent dans l'usine Tioxyde pour utiliser douches et point d'eau, contrevenant ainsi au règlement d'une usine classée Seveso et prenant des risques pour eux-mêmes. Un fait nouveau est apparu depuis quelques jours : ils utilisent les eaux évacuées dans un canal par cette usine, (eau blanche et tiède) pour se laver, et laver leur linge, s'exposant ainsi peut-être à des risques toxiques. Ceci malgré les informations données en diverses langues (anglais, arabe, pachtoun,) par les bénévoles associatifs et le personnel de la PASS. Ils se plaignent fréquemment de nausées et de douleurs abdominales, sans qu'on puisse établir le lien avec certitude pour le moment. Quoiqu'il en soit, les risques qu'ils prennent de cette façon ne sont rien auprès des dangers qu'ils ont affronté durant leur périlleux voyages, et qu'ils prennent, nous le savons, pour traverser la Manche. Donc, ce ne seront pas des grillages supplémentaires qui vont les arrêter... Cependant ces « délits » (s'introduire dans l'usine, utiliser des eaux clairement affichées comme nocives et interdites) ne sont motivés que par l'absence d'eau potable et sanitaire à proximité de leur campement, et à l'absence de douches sur tout le territoire de Calais. Il y avait déjà recrudescence de gales, de surinfections cutanées, voici maintenant des risques de toxicité. Nous pensons que la simple ouverture de points d'eau à proximité des « jungles » supprimerait quasiment les risques toxiques. Nous ne pensons pas raisonnable d'évoquer le risque « d'appel d'air » ou « de point de fixation » pour une simple mise à disposition d'eau potable et sanitaire.

En tant qu’association médicale, nos « revendications » sont assez simples, et se basent sur les notions de droit à la santé qui font partie de la législation française :
- Toute personne sur le territoire et quel que soit son statut administratif doit pouvoir bénéficier d'un accès aux soins (le droit à la santé)
- Les dispositifs qu'il faut mettre en place pour les "migrants en transit", sont ceux qui existent dans le droit commun:
Essentiellement les PASS (Permanences d’Accès aux Soins de Santé)
Mais aussi leur complément logique, les Lits Halte Soins Santé. Il faut rappeler que les 6 LHSS alloués à Calais sont notoirement insuffisants.

Nous avions évoqué ces sujets lors du tour de table de janvier. Médecins du Monde, après celle de Calais, tente d’obtenir des PASS efficientes, indépendantes du Service des Urgences,notamment à Dunkerque où les discussions avec la direction piétinent,au grand dam de l’accès aux soins des migrants. Voire une PASS mobile permettant d’aller vers les patients. Ces deux dispositifs sont évidemment destinés de façon générale aux plus précaires, (et par exemple tout autant au public SDF), comme aussi les
structures d'hébergements (public sans abri...)
- Quant aux mineurs: la France leur doit protection et à ce titre, ils doivent être accompagnés et accueillis dans des centres appropriés aux jeunes migrants, qui à l’heure actuelle n’existent pas dans le Calaisis.
- La diffusion des informations sur les droits de ces personnes lorsqu'elles sont en transit sur le territoire français est indispensable (informations qui devraient être traduites dans les principales langues parlées par les migrants): droit d'asile et procédure, accès aux dispositifs de soins... Des informations objectives pourraient aussi limiter celles, erronées, qui sont fournies par des tiers.
- Les migrants sérieusement malades doivent
bénéficier d'une régularisation pour raisons médicales.
- D’une façon générale, les formalités
administratives doivent être accessibles à Calais et non, en l’espèce, à Arras, ville distante de 100 km, ce qui crée des difficultés voire des impossibilités pour des personnes malades.

- Il nous faut aussi, bien sûr, demander l'abrogation de la circulaire du 21 février 2006 portant sur les conditions d'interpellations des étrangers en situation irrégulière. Cette circulaire qui mentionne les lieux d'interpellation comme les hôpitaux, les accueils des associations remet en cause les principes fondateurs de la déontologie médicale.

….signé : Dr Martine Devries, Dr Philippe Pluvinage, Dr Benoit Savatier, responsables de la mission migrants du littoral 59/62 de Médecins du monde

toxicité des eaux utilisées par les migrants à Calais

Médecins du Monde
Mission Migrants du littoral 59/62
Calais, le 16 Avril 2009
Objet : Toxicité des eaux utilisées par les migrants à Calais
Destinataires : -Monsieur le directeur de la DASS du Pas de Calais
-Monsieur le directeur adjoint chargé du pôle Santé Publique
Copies à : -Madame la Maire de Calais, Mr Max Thérouanne, Mr Matujewski
Monsieur,le Directeur,
Je suis médecin, responsable de la mission migrants de Médecins du Monde à Calais, c'est à ce titre que je vous écris.
Depuis quelques semaines nous savons, (tout le monde sait) que les migrants de la « jungle » de Calais pénètrent dans l'usine Tioxyde pour utiliser douches et point d'eau, contrevenant ainsi au règlement d'une usine classée Seveso et prenant des risques pour eux-mêmes. Un fait nouveau est apparu depuis quelques jours : ils utilisent les eaux évacuées dans un canal par cette usine, (eau blanche et tiède) pour se laver, et laver leur linge, s'exposant ainsi peut-être à des risques toxiques. Ceci malgré les informations données en diverses langues (anglais, arabe, pachtoun,) par les bénévoles associatifs et le personnel de la PASS. Ils se plaignent fréquemment de nausées et de douleurs abdominales, sans qu'on puisse établir le lien avec certitude pour le moment. Quoiqu'il en soit, les risques qu'ils prennent de cette façon ne sont rien auprès des dangers qu'ils ont affronté durant leur périlleux voyages, et qu'ils prennent, nous le savons, pour traverser la Manche. Donc, ce ne seront pas des grillages supplémentaires qui vont les arrêter... Cependant ces « délits » (s'introduire dans l'usine, utiliser des eaux clairement affichées comme nocives et interdites) ne sont motivés que par l'absence d'eau potable et sanitaire à proximité de leur campement, et à l'absence de douches sur tout le territoire de Calais.
La mission migrants de Médecins du Monde qui oeuvre pour les soins et la santé des migrants veut ici souligner l'importance de l'accès à l'eau pour la simple survie des êtres humains. Dans les villes du midi, il y a des fontaines sur toutes les places.A Calais, il n'y a pas de point d'eau facilement accessible. Je veux vous alerter sur les risques sanitaires auxquels sont exposés les migrants de ce fait. Il y avait déjà recrudescence de gales, de surinfections cutanées, voici maintenant des risques de toxicité. Nous pensons que la simple ouverture de points d'eau à proximité des « jungles » supprimerait quasiment les risques toxiques. Nous ne pensons pas raisonnable d'évoquer le risque « d'appel d'air » ou « de point de fixation » pour une simple mise à disposition d'eau potable et sanitaire.
Veuillez recevoir, Monsieur le directeur, L'expression de mes sentiments les meilleurs.
Docteur Martine Devries
12 rue des Soupirants 62100 Calais
martine.devries@wanadoo.fr
0688751885 0321344064